Très schématiquement, notre système économique se base sur la consommation, laquelle s'appuie sur trois secteurs d'activité nettement différenciés :
-La production n'est pas assujettie à nos besoins, mais au rendement et à la quantité : dans le cadre de ce qu'on appelle l'économie d'échelle, le but est de produire en plus grande quantité pour produire moins cher. On conçoit bien qu'il ne serait pas rentable de faire produire en quantités réduites, en Asie ou ailleurs ce que nous consommons. Il est également facile de constater que chez nous les unités de production se regroupent au sein de structures gigantesques. L'agriculture n'échappe pas à la règle et les petits paysans disparaissent inexorablement pour laisser place à une agriculture intensive.
-La vente est l'affaire de la distribution. On comprend bien qu'une production de masse ne peut se contenter de petites structures de vente. La nécessité de gigantisme atteint donc aussi les entreprises de distribution, au point qu'aujourd'hui même les plus petites superettes de village sont les postes avancés d'immenses réseaux de distribution. La production de masse va de pair avec la grande distribution.
-Les prix sont l'affaire de la spéculation, au moins en ce qui concerne les matières premières. Il ne s'agit plus pour nous d'acheter au juste prix, mais au prix du marché. Et le marché ne peut se permettre aucun raisonnement synthétique, il ne peut tenir compte des impacts écologiques ou humanitaires. Le marché se doit d'être exclusivement réactif, il se nourrit de l'immédiat.
Les conséquences sont claires : un gaspillage gigantesque. La production dépasse largement nos besoins réels et se doit même d'en créer de nouveaux. La centralisation des sites de production engendre des distances de transport déraisonnables, la baisse des prix s'appuie sur une baisse de qualité (même dans l'alimentation, nous avons inventé le mot « malbouffe ») et la baisse de qualité entraîne une très grande diminution du temps d'utilisation, pour des produits de moins en moins biodégradables (utilisation massive des matières plastiques). La nécessité de vendre confère une importance capitale aux emballages, dont l'utilité n'excède pas le temps de la décision d'achat.
Si vous n'êtes pas convaincu, ouvrez votre journal et regardez les offres d'emploi. Presque toutes demandent des vendeurs rémunérés à la commission. Ouvrez ensuite votre courrier et comptez le nombre de propositions de crédit. Le problème est bien d'écouler une production déraisonnable.
Pardon de me répéter, le gaspillage est gigantesque. J'ai bien peur qu'il devienne ingérable.
Nous jugeons les personnalités et les organismes politiques qui nous gouvernent sur la base de leurs résultats économiques. Nous exigeons d'eux la croissance, c'est-à-dire en fait les augmentations conjuguées de la production et du pouvoir d'achat. Alors, en tant qu'électeurs responsables, comment nous plaindre de l'impact phénoménal et destructeur de notre mode de vie sur la nature et l'environnement ?
Pourtant il est facile de comprendre que si nous économisons d'un coté sur le prix des marchandises produites en Asie ou ailleurs, les besoins en énergie de ces pays et les transports induits augmentent rapidement et provoquent une flambée des prix de l'énergie. Nous payons largement d'un coté ce que nous croyons économiser de l'autre. Faisons les comptes honnêtement : nous ne gagnons rien ou pas grand-chose en termes financiers à provoquer ce désastre écologique. Seul un petit nombre (en regard de l'ensemble de la population) de spéculateurs, actionnaires ou dirigeants de grandes entreprises y trouvent leur compte.
Il serait fou d'imaginer que les désastres écologiques constatés en Chine, en Russie, en Amazonie, à Bornéo ou ailleurs sont sans incidence sur l'ensemble de la planète.
Il serait tout aussi fou de croire que les actions de recyclage, de nettoyage, de sauvegarde des milieux naturels, voire de réhabilitation des zones écologiquement sinistrées peuvent apporter une solution. Elles ne font que retarder l'échéance en sauvant ce qui peut l'être au cas par cas.
Et même des solutions alternatives comme les carburants verts, qui nous étaient présentés à une époque récente comme écologiquement acceptables, font aujourd'hui bondir nombre d'observateurs.
Nous ne pouvons surtout pas nier que le gaspillage des ressources naturelles, les déchets que nous laissons, la déforestation et la pollution sont notre fait, et qu'il est de notre responsabilité immédiate de changer nos comportements.
Justement, de plus en plus de gens ont déjà ou sont en train de changer de comportement.
De grandes entreprises ont compris qu'elles devaient « virer au vert » pour gagner des parts de marché. L'une ne fournit plus de sacs plastique, une autre promet des produits « bio » dans la composition de tel article, une autre joue la carte du naturel de façon ostentatoire. Ce n'est souvent que de la poudre aux yeux, le minimum syndical pour entrer dans la mouvance mais bon, c'est déjà ça. Car mouvance il y a. La demande existe, et s'amplifie très vite. De plus en plus de consommateurs sont prêts à faire le pas, il suffirait juste que les produits soient un peu plus accessibles.
Des petits agriculteurs qui se voyaient déjà contraints d'abandonner la ferme sautent sur l'occasion, d'autres commencent timidement à s'installer. De plus en plus d'organisateurs de marchés réservent leurs emplacements aux seuls producteurs. Tout cela est bon, pour plusieurs raisons :
-Produire « bio » est bon pour le sol et les nappes phréatiques, qui sont source de toute vie.
-Les productions locales, à échelle humaine, sont économes en transports, en matériel et en énergie.
-Les productions locales s'adaptent à la demande au lieu de créer des besoins pour écouler leurs stocks, ce qui réduit le gaspillage de façon significative.
-Dans le secteur de l'alimentation, la production saisonnière assure le roulement et l'équilibre des sols tout en proposant des produits de qualité.
-Le commerce local est générateur d'emplois. On a compté que pour un emploi créé en grande surface, une trentaine disparaissait dans les petits commerces. Et l'emploi est à ce qu'il me semble la première source génératrice de pouvoir d'achat.
-Même si les prix au kilo sont différents, acheter près de chez soi ce dont on a exactement besoin coûte 10 à 15% moins cher qu'un passage hebdomadaire à l'hypermarché. J'ai fait les comptes honnêtement et sérieusement sur plusieurs mois. Certains petits supermarchés « hard discount » restent intéressants pour les produits d'hygiène, la biscuiterie et les produits non régionaux, et ils sont implantés partout maintenant.
Pour terminer, je ne pense pas qu'il soit équitable de faire travailler des gens pour des salaires de misère et dans des conditions déplorables dans les pays en voie de développement. Ceux qui pensent que c'est déjà bien beau pour eux de travailler dans ces conditions devraient aller prendre leur place, pendant le temps nécessaire pour mettre leur discours à l'épreuve de la réalité.
Un avenir harmonieux devra forcément passer par une autre forme de partage mondial, plus équitable et respectueuse.
En contrepoids aux images de plus en plus rapides que nous assènent les médias, télévision en tête, face à l'anthropocentrisme martelé par la télé réalité, le vedettariat et la « presse people », en réponse à la publicité qui veut nous faire croire que l'habit fait le moine et que le contenant révèle le contenu, beaucoup prennent leurs distances. Ils cherchent à écouter et ne se contentent plus d'entendre, et à regarder au lieu de se borner à voir : en bref, ils veulent comprendre.
Déjà le plus grand nombre trie ses déchets, reprend le vélo ou se met au jardin. Les populations des villages autour de chez nous (50 kilomètres de Toulouse) ont plus que doublé en 7 ans. En majorité des gens venus des cités. Nous avons toujours le choix de vivre autrement, de développer d'autres valeurs, de prendre la plume ou la parole. Nous avons le choix de nous montrer respectueux envers la nature et envers les autres. Nous avons le choix de construire au lieu de détruire et de laisser mieux qu'une poubelle en héritage à nos enfants.
Ceux qui disent le contraire ont quelque chose à nous vendre.